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Les jumeaux en Afrique : symbolisme entre adoration et crainte

La naissance de jumeaux suscite des sentiments diamétralement opposés d’une ethnie africaine à l’autre.

Certaines leur voueront une adoration sans bornes, estimant qu’ils sont le fruit d’une bénédiction. D’autres les rejetteront, craignant les pouvoirs destructeurs que leur prêtent certaines croyances du Continent.

Deux âmes nées du même ventre le même jour. En Afrique, selon l’ethnie à laquelle on appartient, la naissance des jumeaux provoque des sentiments très différents. A l’Ouest, mais aussi au Centre, du Continent, ils sont choyés et même un peu considérés comme des demi-dieux. Au Sud et à l’Est, en revanche, le traitement est bien moins chaleureux. Bien souvent parce qu’ils suscitent une crainte très vive. Une crainte fondée sur le mythe qu’ils ont de très grands pouvoirs qui peuvent être utilisés à des fins maléfiques.

En raison des différents problèmes sanitaires et de prise en charge des femmes enceintes, beaucoup de jumeaux décèdent morts-nés. L’Institut national des études statistiques (Ined), basé à Paris, rapporte que, en 1999, « la mortinatalité, déjà très élevée pour un enfant né unique (entre 20 et 50 pour mille) l’est encore plus pour un jumeau (entre 100 et 200 pour mille) ». Une mort officielle, car dans certains pays, comme le Bénin, les jumeaux ne meurent jamais. Une fois nés, ils font partie du quotidien de leurs parents, même s’ils ne sont plus présents sur terre dans leur enveloppe charnelle.

Immortels jumeaux

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« Pour manifester leur présence parmi les humains, il faut les représenter par une statuette. Dans les déplacements, aux champs, au marché, au marigot, la maman doit garder sur elle cette statuette. A la maison, au moment du repas, on doit laisser dans un plat, devant la statuette, une partie des aliments que l’âme des enfants viendront manger. Si d’aventure la maman décède, un membre de la lignée doit donner périodiquement à manger à ses enfants qui ne sont pas vraiment morts. On prépare à cet effet, du haricot rouge avec beaucoup d’huile de palme », explique sur son site la Société des missions africaines (SMA).

Des attentions qui attestent d’un profond respect, et même d’une adoration pour les jumeaux, qui sont considérés comme des êtres parfaits. Leur naissance est l’occasion de saluer l’arrivée sur terre d’êtres exceptionnels. « En Afrique de l’Ouest, la mère de jumeaux mixtes (qui sont pour les Africains des vrais jumeaux, ce qui n’est pas le cas pour les Occidentaux) est considérée comme une élue de Dieu qui a donné la vie à des êtres qui auront une grande destinée et fait l’objet de bien des attentions. Après leur venue au monde, elle doit se promener avec eux, les montrer à tout le monde et faire une quête sacrée. On bénit aussi les enfants, on pratique des rites pour les fortifier », commente Youssouf Tata Cissé, chercheur à la retraite du Centre national de la recherche scientifique (CNRS, en France), qui a été sociologue, ethnologue et historien.

Traités comme des rois

On chante les louanges et on prend particulièrement soin de ces petits êtres dont on pense que le pouvoir sera très grand. De fait, ils jouissent de quelques privilèges. Chez les Dogons, au Mali, ils sont les premiers à passer l’épreuve d’initiation de la chasse. Ils sont par ailleurs singularisés des non-jumeaux par des signes distinctifs. « Ils portent au cou une amulette en laiton ou encore en cuivre qui représente la gémellité, le fait que deux enfants sont nés ensemble », précise Youssouf Tata Cissé.

L’Afrique est un vivier de jumeaux, alors la chance de croiser ce type d’amulettes lors d’un voyage est importante. En effet, l’Ined indique que le continent comptait, en 1999, 41% des jumeaux nés dans le monde cette année-là. Il explique cet état de fait par les taux de natalité et de gémellité qui sont en Afrique bien supérieurs à la moyenne mondiale. La concentration est la plus forte dans l’Ouest du continent, avec une bonne longueur d’avance pour le Sud-Ouest du Nigeria. Gilles Pison, démographe à l’Ined, précise dans Mortalité et société en Afrique que près d’un « accouchement sur 20 [y] est un accouchement gémellaire ».

Un mythe à la base de la crainte

A l’Est et au Sud du continent, le taux de mortalité est plus élevé qu’à l’Ouest, une conséquence, selon Gilles Pison, de l’accueil moins attentionné réservé aux jumeaux. Un accueil froid dû principalement à crainte fondée sur la mythologie africaine. « Elle dit que le premier couple primordial était formé par des jumeaux mixtes créés par Dieu alors que le soleil était à son Zénith, ce qui explique leurs cheveux roux. Ce couple a décidé de s’attaquer à Dieu, de le provoquer et de lui nier tout pouvoir sur l’homme. Puis ils ont quitté Dieu et se sont rendus sur la Terre pour se livrer à toute sorte d’excentricités et commettre des actions mauvaises », raconte Youssouf Tata Cissé.

Ce côté tête brûlée qui font de la naissance des jumeaux, pour certaines ethnies, plus une mauvaise nouvelle qu’une bonne. « Les Mandingues ont peur d’eux parce qu’ils estiment qu’ils ont la ‘double vue’, c’est-à-dire qu’ils sont omniscients. Les Folonas (à la frontière ivoiro-malienne) mettent les jumeaux dans un cabanon pendant 24 heures après leur naissance loin du village, pensant que cela les empêchera de menacer l’autorité des chefs de village ou coutumiers », poursuit Youssouf Tata Cissé. Au Cameroun et au Nigeria, on leur prête aussi des pouvoirs surnaturels. Ils leur permettraient de faire du mal à ceux qui les déplaisent. Les parents doivent donc faire très attention à la façon dont ils traitent leurs jumeaux, car ils peuvent mourir ou rendre malade ceux qui leur ont fait du mal.

Jumeaux assassinés

D’autres croyances peuvent avoir une issue fatale pour les jumeaux. Le livre du CNRS La notion de personne en Afrique noire souligne ainsi que « chez plusieurs peuples d’Afrique Centrale, les Ndembu et les Lele par exemple, les naissances de jumeaux appartiennent au monde animal et font l’objet d’aversion. Les Luba du Congo les appellent ‘enfants du malheur’ et les Tonga supprimaient traditionnellement un des deux jumeaux ». L’ouvrage ajoute que « ces pratiques ont sans doute en grande partie disparu ».

Les mythes autour des jumeaux sont encore très vivaces. Dans les traditions, mais aussi dans la littérature. Ainsi, les contes les mettant en scène sont nombreux et toujours d’actualité. On y trouve une facette bonne ou méchante de ces êtres sacrés ou honnis. Youssouf Tata Cissé explique qu’ils peuvent être la force au génie lépreux ou encore les kidnappeurs de mariée et de leur cortège.

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