Chronique

[Chronique]
Ignace Clomegah, patron et bâtisseur

Par :Jean-Baptiste Placca

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Professionnel de haut niveau et de très grande envergure, il aura beaucoup transmis. Ses héritiers brillent et prospèrent, d’ailleurs, aussi bien dans les gouvernements, les institutions internationales, les multinationales que le secteur privé, en général. Par probité intellectuelle, nous nous devons, juste, aussi de confesser, ici, qu’il était aussi un ami.

Diplômé de Sciences Po, (Ecofi), brillant expert-comptable, il était un sujet d’élite, le premier Noir à intégrer, en France, le grand cabinet Arthur Andersen, et à y gravir les échelons, pour, à son tour, recruter et former quelques éléments qui comptent, encore aujourd’hui, parmi les meilleurs du marché. Ignace Clomegah a tiré sa révérence, ce 23 février 2023. Son parcours restera à jamais une source d’inspiration pour l’Afrique de l’excellence.

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À une époque où l’horizon paraissait hermétiquement bouché pour les Noirs dans ces multinationales, il a su crever un plafond de verre en béton armé, ouvrir la voie, et transmettre le flambeau de l’excellence à d’autres. Cyrille Nkontchou, autre sujet brillant évoluant dans cet univers, rappelait, en notre présence, il y a peu, que lorsque eux entraient à Arthur Andersen, Ignace Clomegah y était le seul Noir associé. Vous ne pouvez imaginer à quel point de tels exemples peuvent stimuler les plus jeunes, dans une saine émulation, propre à vous réconcilier avec les fameuses certitudes d’espérance.

Quand vous dites qu’il était le « seul Noir », mais sur combien de recrues ?

Une quarantaine. Et, cinq ans plus tard, ils étaient six à passer managers, et il en était encore. Mais son embauche n’a pas été des plus aisées. Le responsable du recrutement l’a renvoyé vers Guy Barbier, le grand patron, qui a commencé par lui expliquer qu’il paraissait, certes, bon, sur le papier, mais que les clients du cabinet pouvaient ne pas se faire à l’idée de confier le cœur du réacteur de leurs entreprises à un Noir. « Je veux bien tenter l’expérience, mais si un, deux, puis trois clients venaient à ne pas vous accepter, je serais obligé de me séparer de vous », a-t-il prévenu.

En moins de deux ans, Clomegah était sur des missions sensibles (les grands laboratoires pharmaceutiques, les agences de travail temporaire, les grandes banques). Jusqu’au jour où un directeur financier, dans une banque, s’étonne de voir Ignace Clomegah débarquer à la tête d’une équipe d’une dizaine de consultants. « Je vous ai demandé un crack, et vous m’envoyez un nègre », dit ce directeur, qui avoue clairement être de la Coloniale, avoir fait l’Indochine, et ne pas trop aimer des Noirs au poste de pilotage. Il refuse donc d’échanger directement avec Clomegah, qui fait alors transiter ses questions et demandes par un de ses propres adjoints sur la mission. À la fin, ce directeur, désarmé, lui dit : puisque que c’est vous, manifestement, qui formulez les questions, et que l’intermédiaire revient sans cesse vers vous, autant vous adresser directement à moi.

À la fin de la mission, ce directeur allergique à toute différence s’autorise quelques compliments déplacés. « Ce rapport est non seulement bon, mais il est rédigé dans un très bon français », dit-il. Clomegah sort alors de la salle. Et l’associé, présent, le rattrape, et lui dit que c’était vraiment un compliment. Et Clomegah de répliquer : « Je n’avais pas été prévenu que le rapport devait être rédigé… en bamboula ! »

Et c’est bien à Abidjan que s’établira sa notoriété…

Guy Barbier lui avait proposé le Sénégal, mais Clomegah a préféré la Côte d’Ivoire. Où il se retrouve, encore une fois, seul Noir dans l’encadrement. Et découvre que même les Africains, à la tête des entreprises d’État, leurs clients, avaient du mal à se faire à l’idée de voir un des leurs à ce niveau, représenter un si grand cabinet international. Ses performances lui vaudront vite de supplanter le patron, pour finalement coiffer une juridiction d’une quinzaine de pays.

Clomegah, pour détecter des talents, faisait le tour des grandes écoles créées par Félix Houphouët-Boigny, notamment à Yamoussoukro et qui, selon lui, formaient une élite du niveau de ceux que produisent HEC ou Sciences Po. En une vingtaine d’années, il a recruté, beaucoup formé, notamment des Ivoiriens, dont certaines futures hautes personnalités. Tel l’actuel Premier ministre, Patrick Achi, Supélec, embauché à sa sortie de Stanford, et avec qui il travaillera six à sept ans en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Trois, au moins, des ministres de l’actuel gouvernement ivoirien ont fait leurs classes avec lui. Mieux, depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny, il n’est pas un seul gouvernement dans lequel on ne compte deux ou trois de ses ex-poulains.

D’autres, nombreux et tout aussi brillants, prospèrent dans les multinationales, le secteur privé. Ainsi de l’avocat Michel Brizoua-Bi qui, à l’annonce de la disparition d’Ignace Clomegah, s’est contenté de ces quelques mots, qui disent tout : « Mon premier patron. Un bâtisseur ! ».

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