[ Chronique]: Politique africaine, alternance ou alternative ?
Du coup d’État militaire qui a fait tomber le président démocratiquement élu Mahamane Ousmane au Niger en 1996, à celui qui balaya le régime démocratique de Christian Kaboré en 2022 au Burkina Faso, en passant par ceux du Mali et de la Guinée qui ont éradiqué les gouvernements d’Ibrahim Boubacar Kéita en 2020 et d’Alpha Condé en 2021, une seule question subsiste. Pourquoi les alternances politiques de l’ère des processus démocratiques ont- elles conduit à la déception ? Il suffit de regarder dans les États de l’Afrique de l’Ouest pour se rendre à l’évidence que les alternances qui ont été réalisées dans certains pays n’ont pas conduit au changement auquel les peuples africains aspiraient et pour lequel ils ont enclenché des mouvements de contestation contre les régimes de dictature d’avant les années 1990.
En effet, plus de trente (30)ans après l’amorce des processus démocratiques en Afrique, les espoirs soulevés par les mouvements de contestation des régimes de dictature sont en berne, s’ils n’ont pas cédé au désenchantement.
Les alternances politiques qui ont amené au pouvoir dans certains pays de nouveaux dirigeants politiques, autrefois opposants farouches aux ordres politiques anciens, n’ont pas réussi à combler les attentes des populations africaines aspirant au mieux-vivre. Dans la plupart des pays, la démocratie promise
par les opposants n’est pas au rendez-vous, de même que le redressement économique et ses corollaires l’état de droit, la bonne gouvernance et les droits humains. Les vieilles pratiques décriées sous les régimes de dictature, accoutumés au tribalisme, à la corruption, au détournement de l’argent public et au favoritisme se sont renouvelées, si elles n’ont pas empiré dans bien de cas. Au Bénin, au Niger, au Mali et au Congo Brazzaville, pour ne citer que ces pays dans lesquels des alternances ont été réalisées au début des processus démocratiques et plus tard au Sénégal en 2000 et ailleurs, les alternances n’ont pas délivré la promesse faite par les acteurs politiques qui en avaient fait leur mot d’ordre. A l’heure du bilan, plus de trois décennies après les alternances démocratiques, il devient impérieux de s’interroger sur ce que les États africains ont réellement besoin pour devenir de vrais États indépendants et économiquement viables. Alternance ou alternative ?
Au début de la décennie 1990, les États africains ont enregistré des mouvements de contestation, parfois des révoltes populaires contre les régimes de dictature qui se sont installés après les indépendances, souvent par des coups d’État militaires d’inspiration néocoloniale. Outre que ces régimes militaires se sont révélé incapables de créer la prospérité dans les États dont ils avaient la charge, ils ont été coupables de pires violations des droits humains, le tout couronné par l’instauration de la désolation, le désespoir et la misère. Les soulèvements populaires qui leur ont sonné le glas et donné l’occasion aux peuples de revendiquer la mise en place de nouveaux ordres politiques ont rimé avec trois slogans essentiellement : démocratie, changement et alternance. Cette période a vu naître de nouvelles formations politiques qui se sont approprié ces mots d’ordre et les ont manipulés à fond pour se positionner comme la solution. Le changement et sont frère jumeau l’alternance constituent la seule proposition dont sont porteurs les partis politiques qui sont nés dans la mouvance des contestations populaires des années 1990. Ces deux mots, presque magiques à une époque, suffisaient à mobiliser les foules et à leur donner l’espoir que les Hommes et/ou les structures politiques qui en faisaient leur mot d’ordre pouvaient suppléer valablement les partis uniques et les régimes politiques qu’ils incarnaient et réussir là où ces derniers ont échoué. Les contestations populaires des ordres politiques anciens ont conduit à la tenue d’assises nationales à l’issue desquelles de nouveaux contrats sociaux ont été formulés pour les États. Les régimes de transition qui ont été installés après les conférences nationales ont débouché sur des élections qui ont permis des alternances dans certains pays. Dans d’autres, les régimes de dictature ont réussi à empêcher l’alternance par crainte pour leur avenir ou tout simplement parce que les acteurs acquis au renouveau s’y sont mal pris. Ces alternances comme les peuples l’ont souhaité, ont amené à la tête des États de nouveaux dirigeants qui, dans le passé, étaient de farouches opposants aux anciens régimes politiques. Pour les peuples des pays où les élites dirigeantes ont été renouvelées, les conditions étaient réunies pour instaurer la démocratie et la prospérité.
Les alternances et ses déboires
Les alternances tant souhaitées par les peuples et savamment instrumentalisées par les partis politiques nés dans la mouvance démocratique ont été réalisées dans des pays comme le Bénin, le Niger, le Mali, le Congo Brazzaville, le Sénégal, la Gambie, etc. Les populations se sont empressées de voter pour les candidats qui disaient incarner la démocratie, le changement et l’alternance. Dans ces pays, le renouvellement des classes politiques dirigeantes a donné aux peuples l’espoir d’une vie meilleure. Ces nouvelles élites dirigeantes sont accueillies par les peuples africains comme l’écrivain français Charles Maurras avait accueilli le Régime de Vichy : » Nos idées sont au pouvoir. » Dans l’espérance des peuples, les années de misère seraient bientôt de lointains souvenirs, les nouveaux dirigeants allaient travailler à installer la démocratie et créer la prospérité.
Il a suffi seulement d’un mandat de cinq (5) ans dans certains pays pour que les peuples soient désillusionnés. Au Bénin, les électeurs ont ramené l’ancien dictateur Marxiste Mathieu Kérékou à la place de Nicéphore Soglo, le premier président de l’alternance ; au Niger, le président Mahamane Ousmane a été balayé par un coup d’État militaire avant même d’avoir bouclé son premier mandat. Ailleurs, les les alternances successifs n’ont pas comblé les attentes des électeurs et des populations. C’est le cas du Mali où les présidents Amadou Toumani Touré et Ibrahim Boubacar Kéita ont été balayés par des coups d’Etat militaire et au Burkina Faso en 2022 où le président démocratiquement élu, Christian Kaboré, a été enlevé aussi du pouvoir par un coup d’État militaire. Au Sénégal, l’opposant historique Abdoulaye Wade a passé dix (10) ans à la tête du pays sans avoir réussi à réaliser les promesses qu’il faisait quand il était grand opposant à Senghor et à Diouf. Contrairement à ses prédécesseurs qu’il critiquait, c’est lui qui a essayé d’installer son fils au pouvoir. Les tableaux les plus sombres sont ceux de l’ex-opposant historique Alpha Condé, pourfendeur des régimes de Sékou Touré et de Lansana Conté, et d’Allasane Ouattara qui n’ont eu aucun scrupule pour réviser les Constitutions guinéennes et ivoiriennes pour s’octroyer des troisièmes mandats interdits.
Partout ailleurs où les alternances ont été réalisées, les nouveaux Hommes forts n’ont pas réussi à installer la démocratie et la prospérité. Les grands maux qui minent l’Afrique depuis les années quatre vingt (80) au moins, et qui ont pour noms : chômage des jeunes, pauvreté, manque d’infrastructures, absence de perspective sont encore prégnants, sans oublier que la gestion des États n’a aucunement changé dans la manière et les principes. Au demeurent, les alternances ont simplement permis d’enrichir de nouvelles classes dirigeantes, notamment celles qui ont succédé aux anciennes. Tous les opposants désargentés d’hier, leurs proches et leurs familles sont devenus riches par le pouvoir d’Etat après les alternances. Dans le même temps, les conditions de vie des peuples n’ont pas changé. Au final, le mot alternance sonne comme le changement d’une élite dirigeante par une autre, sans aucune perspective de changement dans la définition des politiques publiques, la gouvernance et la gestion de l’État. Pour caricaturer, c’est » ôte toi de là que je m’y mette pour faire la même chose. » Aujourd’hui, les acteurs politiques africains doivent changer de discours et chercher à innover par la proposition d’une alternative pour les États. Le disque de l’alternance est rayé ; les acteurs politiques l’ont joué à profusion sans avoir réussi à créer la fête pour les populations. Ceux qui en ont fait leur projet de société et le crie pendant les campagnes électorales doivent se rendre à l’évidence que le mot est devenu ringard et contre productif.
L’alternative : la solution
Partout ailleurs en Afrique, les alternances n’ont pas permis de régler les problèmes de fond qui sont ceux des États du continent. Des anciens régimes aux nouveaux, des dictateurs des années d’avant 1990 aux opposants d’après, la gestion des années n’a pas changé et l’émergence économique n’a pu être réalisée. Il appert devant ce constat de changer de paradigmes et de rechercher les vraies solutions aux problèmes africains. Les élites semblent être issues de la même école et sont dépositaires de la même culture. » Tous pourris. » Dans ce cas, la solution ne se trouve pas dans le remplacement de l’élite politique dirigeante mais plutôt dans la capacité des acteurs politiques à imaginer un système politique qui s’ancre véritablement dans la culture et les réalités africaines et à proposer des politiques publiques porteuse de solutions. Cela suppose que les États rompent avec le plagiat de la démocratie occidentale et crée leur propre système politique qui prend en compte les aspirations des peuples à la liberté, au respect de leurs droits et leur implication dans le choix des gouvernants. Les pays émergents d ‘Asie, la Chine et l’Inde ne sont pas devenus des États émergents et/ou développés grâce à la démocratie occidentale et moins encore à l’alternance. Le Rwanda qui a fait de grandes performances économiques n’a pas connu d’alternance depuis 1994. La Chine s’est développée, non pas par l’alternance, mais plutôt en sortant de son propre génie un système de remplacement des dirigeants au sein du même parti politique. Ce qui veut dire que même si l’alternance est nécessaire pour renouveler les hommes et les idées en politique, elle n’est pas la condition sine qua non pour le développement. Or le développement est la finalité de la politique. A quoi sert la démocratie ou le meilleur système politique si sa finalité n’est pas de servir l’homme? Quel système politique et quelles politiques publiques pour porter le développement de l’Afrique. Voilà les vraies interrogations. Au regard des constats, ne voterons nous pas pour l’alternative plutôt que pour l’alternance que nous avons crié ces trente (30) dernières années ? L’alternative ne porte-t-elle pas l’alternance ?
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Fulbert Sassou ATTISSO
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