[LeCoupD’œil] Quand vivre devient survivre chez nous…

On entend souvent des jeunes dire en riant : « Naître chez nous, c’est déjà connaître l’enfer. Et si Dieu nous envoie encore en enfer après la mort, ce sera un double châtiment. »
C’est triste, mais c’est vrai. Chez nous, souffrir est devenu une norme.
Aujourd’hui, manger trois fois par jour est un luxe. Se nourrir de manière équilibrée, avec du lait, des œufs, de la viande ou du poisson, est un rêve inaccessible. On se contente souvent de haricots à 200 francs, de Ayimolou, d’Akpan sans sauce, et d’un peu de gari pour masquer la faim. Même le maïs, notre aliment de base, coûte si cher qu’il est presque réservé aux riches. Nous vivons davantage pour apaiser la faim que pour manger.
Regardez autour de vous : des apprentis maçons portant des briques plus lourdes que leurs avenirs pour 1 500 francs par jour. Des jeunes filles couturières qui passent leurs journées à coudre des vêtements pour les autres mais qui n’ont pas les moyens de s’acheter un pagne. Voici la jeunesse que nous sommes en train de briser.
Chaque jour, nous survivent grâce aux petits transferts T-Money ou Flooz. « Grand frère, envoie-moi 1 ko, je n’ai rien mangé depuis hier soir », « Tonton, aujourd’hui, c’est dur pour moi, envoie-moi quelque chose pour la journée. » Ces petits gestes soutiennent des familles entières. Mais jusqu’à quand allons-nous tendre la main juste pour manger, tout en travaillant dur ?
Nos rues sont remplies chaque matin. Des gens quittent leurs quartiers à pied, à moto, en taxi. Pourtant, derrière les sourires forcés, c’est la souffrance qui s’exprime. Beaucoup travaillent, transpirent, s’épuisent, mais rentrent le soir les poches vides. Ce ne sont pas des paresseux. Ce sont des gens qui se battent, mais qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts.
Nous sommes tous des malades en attente, des futurs patients d’AVC, d’hypertension, de maladies liées au stress. Ici, la vie nous tue lentement.
Et voilà la rentrée scolaire. Les cahiers, les stylos, les uniformes sont devenus inaccessibles. Beaucoup de parents ne savent pas quoi répondre à leurs enfants qui demandent un sac ou des chaussures. Certains pleurent en cachette. D’autres se taisent. Être parent ici, c’est porter une douleur silencieuse.
Et pourtant, on dit que notre pays produit. On dit que le PIB augmente, que l’économie se porte bien. Mais la réalité, c’est que la richesse se concentre uniquement entre les mains d’un petit groupe. Pendant ce temps, les fonctionnaires suffoquent sous leurs dettes, les travailleurs du privé sont payés des miettes, et les jeunes se débattent dans des petits boulots sans avenir.
À mes chers compatriotes
Je sais que c’est difficile. Je sais que chaque jour est une lutte. Mais vous tenez bon malgré tout. Même avec la faim, même avec les humiliations, vous gardez la tête haute. Vous êtes grands dans la souffrance. Ne perdez pas courage.
À nos chers gouvernants
Regardez-nous enfin ! Écoutez-nous ! Nous ne sommes pas de simples chiffres.
Délali Brice Afatsawo