[Économie] Vincent Bolloré, mini-Murdoch à la française.

Avec Vincent Bolloré, le scénario se déroule presque toujours de la même manière. Lorsque le milliardaire prend place, il commence souvent par liquider le management en poste pour placer ses pions. Il l’a fait à Canal +, Editis, Prisma, Havas ou Gameloft, toutes des entreprises de la galaxie Vivendi, le groupe du CAC 40 dont il est l’actionnaire de référence depuis 2015. «Bolloré a une obsession, c’est de s’entourer de gens loyaux», raconte un producteur qui a beaucoup eu affaire à lui. Le limogeage d’Hervé Gattegno, qui dirigeait jusque-là Paris Match et le Journal du dimanche (JDD), répond d’abord à cette logique. Quelles que puissent être les autres raisons ayant aussi contribué à cette décision : l’anti-zemmourisme du journaliste, la défiance dont il faisait l’objet dans les rédactions ou les résultats commerciaux des deux hebdomadaires.

Vaste groupe d’influence de droite.
Les nominations, pour succéder à Gattegno, de Patrick Mahé à Match et Jérôme Bellay au JDD, ont été rendues publiques par des communiqués du groupe Lagardère, qui détient les deux titres. Cette apparence ne trompe personne. Un mois après avoir annoncé le lancement d’une offre publique d’achat sur l’entreprise toujours dirigée officiellement par Arnaud Lagardère, Vincent Bolloré a pris les commandes en sous-main. L’un des grands fournisseurs d’Arnaud Lagardère nous racontait en début de semaine qu’il n’avait plus de nouvelles de l’héritier désargenté depuis que le milliardaire breton a confirmé son raid. Directement à la baguette, Bolloré reçoit en personne les journalistes pour les draguer. Avant l’été, il a convié à son bureau Eric Brunet pour lui proposer la matinale d’Europe 1. Il a expliqué au polémiste libéral-conservateur de LCI, formé à l’école RMC, qu’il voulait redonner à la radio son identité CSP + pour en faire une sorte de version sonore des pages saumon du Figaro. Sceptique sur le zemmourisme, trop radical à ses yeux, Brunet (qui confirme l’anecdote mais ne souhaite pas s’exprimer) a décliné.
L’empire Bolloré s’étend dans les médias (et l’édition avec l’immense Hachette, qui fait partie de l’opération Lagardère), produisant un phénomène inédit dans l’histoire récente de notre pays : la constitution d’un vaste groupe d’influence sur une ligne de droite conservatrice et radicale. En mini-Murdoch tricolore, l’homme d’affaires breton façonne son Fox News français, à quelques mois d’une élection présidentielle perturbée par la puissance de l’extrême droite. Après la chaîne d’information CNews et la radio Europe 1, déjà «zemmourisées», ce mouvement idéologico-stratégique pourrait donc être renforcé par l’adjonction de deux grands journaux, deux pans de l’histoire de la presse française. On évoque cette hypothèse au conditionnel, mais elle fait peu de doute. Car les deux personnalités choisies par le milliardaire ne sont pas des gauchistes. Par ailleurs, la promotion à la tête du JDD d’un journaliste de Valeurs actuelles, magazine d’ultra-droite récemment condamné pour injure raciste à cause d’un de ses articles, a été envisagée au sein de l’état-major de Vivendi. Le journaliste en question est un proche d’Arnaud de Puyfontaine, le bras droit de Bolloré. Partie remise ? On le saura dans quelques mois.

«Il n’a pas de stratégie».
Le but de cette manœuvre est-il d’empêcher la réélection d’Emmanuel Macron ? Faute d’être dans la tête de Bolloré, au caractère si solitaire que ses plus proches amis et conseillers ont du mal à le déchiffrer, il est impossible de répondre à cette question. Mais le simple fait de se la poser est révélateur. «Je suis convaincu que Bolloré fait tout cela car il pense que la France est sur la mauvaise pente, commente un des principaux dirigeants de médias français, qui ne veut pas être nommé. Ça lui plaît de donner un coup dans la fourmilière. C’est un pirate, il ne faut pas l’oublier.» Cette source pense que cette stratégie est aussi cohérente économiquement, dans une France de plus en plus a droite. Le producteur cité plus haut y croit moins : «Bolloré a l’impression que ça marche en prenant à droite toute, mais il fait une mauvaise lecture du succès de CNews, qui reste relatif : 2 % d’audience, ce n’est pas grand-chose. Il ne voit pas que C8, avec Hanouna, ne progresse pas. Il n’a pas de stratégie, il a seulement un sentiment.» Mais aussi beaucoup de cash à dépenser. Après la vente partielle et la mise en Bourse d’Universal Music, qui lui a rapporté quelques milliards d’euros, l’oligarque d’Ergué-Gabéric réfléchit à céder ses activités de logistique en Afrique, le cœur historique de son business, comme l’a révélé le Monde. De quoi se donner les moyens de poursuivre et accentuer son offensive droitière dans les médias.

Avec Jérôme Lefilliâtre – Libération

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