En Afrique, plusieurs jeunes filles entre 13 et 15 ans subissent des mutilations sexuelles et
malgré les traumatismes et les complications sévères qu’elles peuvent engendrer, ces mutilations génitales n’empêcheraient pas les plaisir sexuel.
Pratiqués le plus souvent dans des conditions d’hygiène précaires, ces actes peuvent entraîner des douleurs violentes, de la fièvre, une hémorragie, des infections (tétanos, VIH), des problèmes de cicatrisation, un état de choc et parfois le décès.
Dans le monde, selon des chiffres de l’Unicef publiés en 2016, plus de 200 millions de jeunes filles et de femmes ont subi des mutilations sexuelles. Quarante-quatre millions ont moins de 14 ans. Une trentaine de pays africains (dont la Somalie, la Guinée, Djibouti, l’Egypte, la Gambie) pratiquent ces rituels, qui ont aussi cours en Asie (Indonésie, Malaisie), au Moyen-Orient (notamment en Iran et au Pakistan) et dans certaines régions d’Amérique du Sud.
On considère comme mutilation sexuelle féminine toute intervention qui lèse les organes génitaux externes de la femme pour des raisons non médicales et qui porte gravement atteinte à la santé. Il en existe quatre types. La clitoridectomie, d’abord, consiste en l’ablation partielle ou totale du gland du clitoris, et plus rarement seulement du prépuce (repli de peau entourant le clitoris). L’excision, ensuite, est l’ablation partielle ou totale du gland du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans ablation des grandes lèvres. Le troisième est l’infibulation, rétrécissement de l’orifice vaginal réalisé en suturant une partie des petites ou des grandes lèvres, avec ou sans excision du clitoris. La dernière catégorie regroupe toutes les autres interventions altérant les organes génitaux à des fins non médicales.
Un vrai traumatisme
Pratiqués le plus souvent dans des conditions d’hygiène précaires, ces actes peuvent entraîner des douleurs violentes, de la fièvre, une hémorragie, des infections (tétanos, VIH), des problèmes de cicatrisation, un état de choc et parfois le décès. «C’est souvent un moment dévastateur, source de grande peur et à l’origine d’un véritable traumatisme psychologique, déclare le Dr Francesco Bianchi-Demicheli, responsable de la Consultation de gynécologie psychosomatique et de médecine sexuelle aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). A cela peut s’ajouter un sentiment de trahison.»
Les conséquences à long terme sur la santé et le bien-être sont liées à la sévérité des mutilations, aux complications médicales (urinaires, gynécologiques, sexuelles) et à la douleur: «Après une infibulation, la femme peut rencontrer des problèmes urinaires (miction obstruée) ou menstruels (sang qui s’écoule difficilement), détaille le Dr Jasmine Abdulcadir, médecin à la consultation spécialisée dans les mutilations génitales féminines des HUG. Les douleurs, quel que soit le type de mutilation, peuvent être chroniques.» Il arrive aussi que la femme soit sujette à des infections uro-génitales à répétition, ait des lésions cicatricielles ou des kystes bénins parfois douloureux sur le clitoris.
Les secrets du clitoris
De telles séquelles ont évidemment des conséquences sur la vie intime. Leur impact varie néanmoins selon de nombreux facteurs individuels: l’étendue des lésions et la gravité des complications, l’image qu’a la femme de son corps, l’existence d’autres traumatismes, son âge ou son environnement social. «Les jeunes femmes issues de l’immigration qui grandissent ou vivent dans un pays où ces mutilations sont stigmatisées peuvent moins bien vivre leur sexualité que des femmes plus âgées vivant dans un environnement où ces rituels sont valorisés», explique la spécialiste. Mais contrairement à une idée répandue, les études montrent qu’il est possible pour ces femmes d’avoir du plaisir et des orgasmes. Et pour cause, dans le cas de l’excision, seule la partie externe du clitoris (le gland) est coupée. Or, «il y a à l’intérieur toute une structure complexe, mesurant entre 8 et 12 cm en moyenne, que peu de monde imagine», explique le Dr Bianchi-Demicheli. La petite boule visible est la conjonction de deux piliers qui convergent vers la symphyse pubienne et de deux bulbes vestibulaires, des structures symétriques qui entourent le vagin et l’urètre. Ces tissus très vascularisés et érectiles sont extrêmement riches en récepteurs nerveux, le clitoris étant l’organe le plus sensible du corps féminin. Par ailleurs, si ces femmes ont malgré tout accès au plaisir sexuel, c’est surtout parce que «la sexualité ne se résume pas à un organe et que le clitoris n’est pas la clé de tout», rappelle le sexologue. Se sentir belle, stimulée (par la voix, le toucher, les odeurs), avoir du plaisir à être avec l’autre, tout cela joue aussi un rôle, le désir étant une réponse psycho-physiologique multidimensionnelle. Sans oublier que le cerveau reste le grand chef d’orchestre de tout cela, puisque «des zones cérébrales hautement cognitives sont impliquées dans l’orgasme», complète le sexologue.
Réparations chirurgicales
Pour répondre aux besoins des femmes qui ont subi des mutilations, la consultation spécialisée des HUG offre une prise en charge multidisciplinaire, où les dimensions médicale, psychologique et culturelle sont prises en compte: «Nous explorons les fausses croyances en matière d’anatomie et de sexualité et offrons si nécessaire une éducation sexo-corporelle», illustre le Dr Abdulcadir. La chirurgie (réexposition du clitoris, réouverture de l’orifice vaginal, par exemple) peut apporter un mieux-être, surtout en cas de douleurs chroniques. Mais, constate la spécialiste, la majorité des patientes qui n’ont pas de douleurs n’y ont pas recours au terme de la prise en charge. Confier ses souffrances, mieux connaître son intimité et savoir qu’une grande partie de son anatomie génitale reste intacte suffisent parfois à apporter une réparation physique et psychologique.
Liliane KODJO