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Phénomène «systémique», la pédocriminalité dans l’Eglise catholique a fait 216 000 victimes depuis 1950 en France

Créée en 2018, la commission d’enquête indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise catholique de France a rendu son rapport ce mardi. Devant «l’effroyable réalité» des faits, le pape François a exprimé son «immense chagrin»

Déflagration pour l’Église catholique de France et au-delà: la Commission Sauvé, qui a enquêté sur l’ampleur de la pédocriminalité, a publié mardi ses conclusions accablantes, estimant à 216 000 le nombre de victimes mineures de clercs et de religieux depuis 1950. Si l’on ajoute les personnes agressées par des laïcs travaillant dans des institutions de l’Eglise (enseignants, surveillants, cadres de mouvements de jeunesse…), le nombre grimpe à 330 000, a indiqué Jean-Marc Sauvé en dévoilant les conclusions de la Commission indépendante sur les abus dans l’Eglise (Ciase).

«Ces nombres sont bien plus que préoccupants, ils sont accablants et ne peuvent en aucun cas rester sans suite», a-t-il déclaré. Une autre donnée avait déjà été révélée dimanche par le président de la Ciase: le nombre de prédateurs, évalué entre «2900 à 3200», hommes – prêtres ou religieux – entre 1950 et 2020, une «estimation minimale». Pour lui, ces chiffres indiquent un phénomène au «caractère systémique».

Selon lui, l’Eglise catholique a manifesté «jusqu’au début des années 2000 une indifférence profonde, et même cruelle à l’égard des victimes» de pédocriminalité. De 1950 aux années 2000, «les victimes ne sont pas crues, entendues, on considère qu’elles ont peu ou prou contribué à ce qui leur est arrivé», a-t-il ajouté devant l’épiscopat, les ordres religieux et des responsables d’associations de victimes.

La parole des victimes
Résultat de deux ans et demi de travaux de la Ciase, créée en 2018 et financée par l’épiscopat et les instituts et congrégations religieux à hauteur de 3 millions d’euros, le rapport était remis publiquement mardi matin à Paris, à l’épiscopat français et aux ordres et congrégations religieuses, en présence de représentants d’associations de victimes. «Vous apportez enfin aux victimes une reconnaissance institutionnelle de toute la responsabilité de l’Église, ce dont les évêques et le pape n’ont pas été capables à ce jour «, a publiquement lancé en préambule François Devaux, cofondateur d’une association de victimes. «Le système est déviant», a-t-il déclaré, en appelant à un concile «Vatican III». Pour l’Eglise catholique, les conclusions de ce rapport s’apparentent à «une déflagration», avait anticipé auprès de l’AFP un membre de la Ciase, sous couvert d’anonymat.

La Ciase a fait de la parole des victimes «la matrice de son travail», selon Jean-Marc Sauvé. D’abord avec un appel à témoignages, ouvert 17 mois, qui a recueilli 6500 appels ou contacts de victimes ou proches. Puis en procédant à 250 auditions longues ou entretiens de recherche. Elle a aussi effectué une plongée dans de nombreuses archives, de l’Église, des ministères de la Justice ou de l’Intérieur, de la presse…

Une fois le diagnostic posé, la Commission a énuméré plusieurs dizaines de propositions dans plusieurs domaines: écoute des victimes, prévention, formation des prêtres et des religieux, droit canonique, transformation de la gouvernance de l’Eglise… Elle a aussi préconisé une politique de reconnaissance, puis une réparation financière propre à chaque victime. Les faits sont presque toujours prescrits, les auteurs décédés, rendant un recours à la justice improbable. Les procédures canoniques (le droit de l’Eglise) sont longues et peu transparentes.

Le rapport sera examiné par le pape
Quelles suites l’Eglise donnera-t-elle au rapport? L’épiscopat a pris des mesures au printemps, promettant non pas des réparations mais un dispositif de «contributions» financières, versées aux victimes à partir de 2022, qui ne fait pas l’unanimité chez ces dernières ni chez les fidèles, lesquels sont appelés à contribuer aux dons. La Corref s’est, pour sa part engagée en interne dans une démarche de justice «réparatrice» et attend les conclusions du rapport Sauvé pour prendre des décisions. Les premières réponses de la Conférence des évêques de France et de la Corref seront annoncées en novembre, date à laquelle les deux institutions se réuniront en assemblées plénières.

Un collectif d’associations de victimes avait déjà lancé, samedi, une pétition – «Abus sexuels: l’Eglise catholique doit prendre ses responsabilités» – en français et anglais: il s’agit de créer une «mobilisation qui franchisse les frontières», selon François Devaux. Ce rapport sera aussi examiné à la loupe à Rome par le pape François, qui a rencontré une partie des évêques français en septembre et a été confronté à ce dossier dès le début de son pontificat.

Il a d’ores et déjà exprimé mardi son «immense chagrin» après la publication d’un rapport accablant sur la pédocriminalité dans l’Eglise de France, qui a «pris conscience de cette effroyable réalité».» «Ses pensées se tournent en premier lieu vers les victimes, avec un immense chagrin pour leurs blessures et gratitude pour leur courage de dénoncer. Elles se tournent aussi vers l’Église de France, afin que, ayant pris conscience de cette effroyable réalité […] elle puisse entreprendre la voie de la rédemption», a déclaré le porte-parole du Vatican, Matteo Bruni, évoquant devant des journalistes la réaction du pape.

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